Bienvenue au port de commerce !

F. Alain Drogou


Le frère Alain Drogou présente son "job" dans l’univers de la marine de complaisance. Au milieu de marins de toutes nationalités, il faut parler un "anglais marine", sans grammaire ni beaucoup de phrases, du type de la "koinè" parlée par les marins du temps de saint Paul. Il nous dit ne pas vouloir tomber dans les clichés du type "marin étranger croupissant à bord et pas payé depuis des mois", respectant les marins qu’il rencontre dont l’objectif est de travailler, de gagner leur vie honnêtement, de nourrir leur famille et de rentrer au pays le plus tôt possible.

Hello !... vous êtes à Brest

Comme dans des centaines de ports de commerce du monde entier, il existe pour "l’accueil" des équipages, des "Club-house".
Certains sont importants comme les ports de commerce eux-mêmes : Hong-Kong, Durban, New-York, Huston, Rotterdam, Hambourg.... D’autres plus modestes, c’est le cas de Brest..

Ces "seamens-club" (club pour les marins) ont pour origine les églises interconfessionnelles, par exemple : "Apostolatus maris", "Apostleship of the sea", "seafarers"...
Or devant les grandes évolutions du transport maritime, un fait nouveau est arrivé : la disparition des pavillons nationaux que dirigeaient les Compagnies de navigation. Des pavillons plus ou moins curieux, obscurs, filous... de type Panama, Liberia, Nassau.... arment leurs navires avec des équipages internationaux... et bien sûr... moins chers pour les armateurs.

Donc, si le "Seamen’s club" de Brest vient bien d’un mouvement d’Église "La Mission de la mer", ce club s’est adapté au monde d’une marine marchande internationale travaillant avec des équipages de toutes les couleurs et de tous pays. Dans cette mouvance, l’Asie prédomine avec les marins Philippins, Indonésiens et l’arrivée des Chinois.

A Brest le titre officiel du "Seamen’s club" est :"Les amis des marins". L’association est affiliée à la "Fédération des amis des marins" que l’on trouve en France dans les ports, de Dunkerque à Marseille.... L’association a pour but d’accueillir les marins de commerce, spécialement du Tiers Monde.

Ouf !
Voici donc situé notre club dans cette grande saga maritime.
Mais, quoi ?...
Il a un petit air fripon ce club...
Et en plus il nous sourit en murmurant : "Club ! Yes.... mais Cyber coffee, too, really, indeed..." aussi, vraiment, en effet....
Car il parle un drôle d’anglais. Et oui, de 18 heures à 22 heures, si vous vivez au club, vous verrez.... des Russes, des Chinois, des Ukrainiens, des Philippins, des Malgaches, des Nigériens, des Sud-Américains, des Algériens et autres... Indiens... ;
Ainsi, si vous feuilletez le livre de bord, vous trouverez toutes les traces de ces passages... les inscriptions en chinois nous le prouvent.

Le club a une originalité. Comme "Cyber café", il offre un service internet, gratuit aux marins. Les gars viennent du bord avec leur matériels portables, trouvent le "Key-word" du jour et hop... le philippin rejoint sa famille à Manille, le Chinois, la bourse de Hong-Kong, avec sa calligraphie ad-hoc, le Malgache, sa famille là-bas dans le grand sud-est...
Autour du bar "écolo" (no smoke, no beer...) ceci pour la paix du corps et de l’esprit, les copains marins peuvent discuter et déguster gracieusement coffee, tea, sweet-drinks.

Il y a la TV multicanaux, un billard, des cartes téléphoniques internationales à mi-prix avec une cabine dans le club.

Car le "Seamen’s club" de Brest est en lien avec les autres clubs européens. Il a surtout l’appui financer et moral de la "Fédération Internationale des Transports". Ce titre est magique pour les marins :I.T.F. (International Transport Federation). Cette fédération mondiale reste un support très fort parmi les marins de la Marine de complaisance.

"Complaisance", ce terme explique le fond des problèmes des marins.
En fait, ils y a deux sortes de "complaisance" (brièvement...) :

- Les sérieuses, compagnies qui ont des banques solides derrière elles ; généralement, elles arment leurs équipages avec des gars de même nationalité : Philippins, Indonésiens, Chinois...

- Les compagnies "bidons" que certains marins appellent "Mickey-mouse", humour qui cache bien des tragédies. Ces compagnies font naviguer des bateaux usés avec des équipages de divers nationalités, sous payés ou pas payés du tout....

Bien sûr, sur Brest, se présentent ces différents navires.

Alors devant certaines situations, le club devient un "espace" de grande importance. Les marins savent que l’ambiance n’est pas commerciale. Et surtout ce club reste une sécurité pour se mettre en lien avec le syndicat local maritime qui travaillera avec le fameux I.T.F., les Affaires maritimes françaises, les courtiers maritimes, les Polices des frontières et... on l’a vu, les Restos du cœur... donc avec tous ceux qui peuvent s’occuper d’un navire à quai... en perdition.

Car il faudra régler les questions angoissantes de salaires non payés. Ce fut le cas pour des navires comme le "Captain Tsarev" (armateur russe), le "Matterhorn" (armateur aux Caraibes), le ferry "Pentaline B" (armateur au Cap vert). Ces exemples montrent que ce fut très long pour les officiels français rencontrant les armateurs sans scrupules plus au moins maffieux, de résoudre les problèmes de marins angoissés.

I.T.F. est donc remarquable (ce n’est pas de la pub....) et ce syndicat nous a offert une bagnole qui nous permet d’aller chercher les gars à bord vers 18 heures et de les ramener vers 22 heures.

Notre club tourne donc avec une équipe de bénévoles : un président élu, secrétaire, trésorier et un permanent à mi-temps. Le rôle de ce dernier est important. C’est actuellement Cédric, au look très "mar-mar" (marine marchande), expert en informatique, qui résout tous les problèmes pour voir la couleur des yeux du petit dernier, né à Saint Petersbourg, Manille ou Montevideo.

Mais, alors, dans tout cet ensemble maritime... où sont-ils donc les "dieux de la mer" ?... Le club est très ouvert. Le marin, d’ailleurs, n’est pas contre les dieux... pourvu qu’ils nous sourient... Autour du bar, on parle de Shiva, d’Allah, d’Elohim...

Un soir, en discutant avec un jeune officier mécanicien indien, on parlait de l’au-delà et je lui disais que j’étais un lecteur de la Bible. A la question :"Do you believe ?... croyez-vous ?" il me répond : "no". Sa réponse était très souple. Ce fut pour moi une révélation. Les Indes, le pays des mille dieux avaient aussi leurs libre-penseurs.

Par contre, les Philippins, les Sud-Américains, les Algériens, les Malgaches parlent assez naturellement de leurs univers religieux. Un soir, comme d’autres soirs, le Philippin calmement, nous dira en remontant sur son bateau :"God bless you... que Dieu vous bénisse !"

Merci frère étranger philippin, pour ta parole du soir ! Elle semble rejoindre celle du psalmiste (psaume 107, 23 à 32) :"Après les tempêtes de la vie, l’Eternel nous ramène vers un port"...

Mais où est-il donc ce port mystérieux celui qui comblerait nos désirs ? Est-ce une route possible ? une recherche vers l’invisible ?

frère Alain Drogou