Eloge de la douceur, par Madeleine Delbrêl


Née en 1904 et morte en 1964, Madeleine Delbrêl est considérée comme l’une des figures spirituelles majeures du 20ème siècle. Installée à Ivry comme assistante sociale, elle a mené une vie évangélique et communautaire en milieu communiste. Cette lettre en date du 11 octobre 1939 est une correspondance avec son amie et chercheuse Christine de Boismarmin.

"Notre tâche expresse, qui pour chacun d’entre nous revêt des modalités différentes, ne consiste, en fin de compte, qu’à nous livrer à corps et âmes perdus, à la charité du Christ. Le monde n’a besoin que de petits morceaux de charité, totalement charité. (...) Soyez un morceau d’amour là où vous êtes et vous serez pour la cause de Dieu, plus qu’une armée entière. Aspirez constamment Dieu en vous par l’imitation du Christ, le regard vers le Christ, la mortification dans le Christ. Quand l’obéissance tangible nous manque il nous reste toujours celle dont aucune autre ne nous dispense, l’obéissance au grand commandement "aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés". Se livrer à cet amour c’est incarner pour ainsi dire Dieu, c’est le mettre là où l’on est : dans son groupe, sa ville, son pays, l’Église.

C’est devenir une source extraordinaire d’énergie spirituelle apte à bouleverser les événements dans des proportions dont nous n’avons pas idée.
Cet amour a pour nom humain la douceur. "Apprenez de moi que je suis doux."

Je suis sûre que sur cette douceur Notre Seigneur a beaucoup à vous apprendre.
En marchant, en cuisinant, entre deux visites, le soir avant de vous endormir, frappez à, la porte du cœur de Dieu pour en obtenir des leçons de douceur que seul son esprit peut nous faire comprendre et réaliser.
Demandez-lui de vous apprendre ce que c’est que d’être doux à sa place exactement comme lui, parce que lui est en nous et que nous sommes des menteurs quand nous ne sommes pas bons à sa façon.

Qu’il vous apprenne à écouter les autres, à leur parler, à les regarder, avec ses oreilles, sa bouche, ses yeux, ce qui nous fait entrer dans son intimité à lui d’une façon étonnante."

Madeleine Delbrêl, Lettre du 11 octobre 1939 à Christine de Boismarmin, Correspondance, volume 1, Nouvelle cité, 2004.