Né le 29 mars 1934 à Albanne (Savoie), Bernard Bois est entré au noviciat de la Province de Savoie le 12 août 1953 sous le nom de frère Victorin. Profès le 4 octobre 1954, il est ordonné prêtre le 29 juin 1963 dans l’église de son village d’Albanne, De septembre 1963 à juin 1964 Fr Bernard rejoint la paroisse St Laurent de Grenoble confiée aux Capucins pour son stage pastoral. En août 1964, il est envoyé comme missionnaire dans le diocèse de Berbérati. Il commence son ministère comme vicaire à la cathédrale de Berbérati (1964/66), puis comme curé à la paroisse de Bozum-centre (1966/70) et sera ensuite curé à la paroisse de Carnot-centre (1970/75). En 1975, frère Bernard accueille les aspirants à la vie capucine à la Fraternité de Nadugbe tout en étant curé de brousse. En février 1997, il rentre en France et vient à la fraternité de Chambéry. En 2004, il prend sa retraite à la fraternité d’Annecy. Et, en avril 2012, il entre au Centre Echernier de Chavanod où il retrouve les frères Ferdinand Lyonnaz-Perroud et Gilbert Forel.
En août 1964, me trouvant moi-même coopérant au petit séminaire de Berbérati depuis décembre 1963, j’ai eu la joie d’accueillir le fr. Bernard à son arrivée en Afrique.
A peine fut-il arrivé, qu’il est nommé curé de la cathédrale. Le concile Vatican II vient de commencer à Rome, mais les nouvelles réformes liturgiques déjà en cours, ne sont pas encore arrivées à Berbérati en 1963. Fr Bernard ne supporte pas de célébrer la messe face au mur. A la veille de Noël, il prend le risque de mettre l’autel face au peuple. Va-t-il s’attirer les foudres de Fr Léon Gros qui, sur place est à la fois Vicaire Général, Procureur du diocèse, économe et supérieur de la mission Ste Anne ? Mis devant le fait accompli, il n’y aura aucun commentaire.
Au bout d’une année, il est nommé curé de Bozum, une mission du nord de la RCA qui, en 1978 passera au diocèse de Bouar. Bernard restera 4 années à Bozum ; il ne cessera de dire qu’elles ont été les plus belles années de sa vie missionnaire.
Il s’est plu au milieu de cette population pauvre, laborieuse et ouverte à l’évangile. C’est là qu’il prendra goût à se rendre auprès des gens pour bavarder avec eux afin de mieux connaître leurs moeurs et leurs traditions. Dans sa pastorale il ne manquera pas de prendre appui sur des proverbes ou autre valeur de leur tradition pour faire passer la Parole de Dieu. Quelle ne fut pas sa joie d’entendre un dimanche l’abbé Ngolé, un prêtre centrafricain dire dans son homélie avoir reconnu dans l’autel qu’avait fabriqué Bernard pour son église, les formes des autels que faisaient leurs ancêtres pour offrir des sacrifices.
Bernard était arrivé à se faire adopter par la population au point qu’il obtint l’autorisation d’assister seul, au lever du jour, au sacrifice qu’offrait, pour la nouvelle année, au sommet d’une colline, le sacrificateur de la tribu locale.
Il aimait débusquer dans les cases, les multiples grigris accrochés à la toiture pour se protéger de tous les mauvais esprits et mauvais sorts. Il ne manquait pas, quand l’occasion se présentait de rappeler aux chrétiens que la foi au Christ Ressuscité valait mieux que tous les grigris du monde.
Nommé curé de la grande paroisse de Carnot, il réussira un coup de maître en catéchèse. Parti avec seulement quelques enfants qui se réunissaient dans la salle paroissiale, il ferra venir au catéchisme plus d’une centaine d’enfants en délocalisant la catéchèse dans les quartiers et en confiant la catéchèse aux mamans à qui il s’évertuait de donner chaque semaine une formation.
Mais Bernard ne s’était pas enfermé dans sa pastorale, il savait que l’idée de travailler à l’avenir de l’Ordre des Capucins faisait son chemin parmi certains missionnaires. D’ailleurs depuis 1970 un noviciat fonctionnait déjà dans la région confiée aux capucins italiens, mais il ne donnait aucun résultat. Il fallait une sélection plus sérieuse et un commencement d’apprentissage de la vie religieuse auprès des frères sur place.
L’idée de fonder une fraternité qui accueillerait des jeunes désireux de vivre notre vie fit si bien son chemin dans la tête de Bernard, aidé, il est vrai par le Fr Clément Sautier supérieur régulier à l’époque, qu’après discussion et approbation par un vote de nos 18 frères sur place, notre frère provincial, Marc Amblard me demanda de rejoindre Bernard pour réaliser ce projet. Mis en appétit de l’Afrique par mon séjour de coopérant 10 années auparavant, j’acceptais volontiers.
Pendant 23 ans, Bernard et moi, après avoir construit notre demeure, y avons accueilli 2 ou 3 jeunes par an pour vivre, prier et travailler avec nous. Six d’entre eux étaient parvenus jusqu’à la profession, mais à ce jour seuls deux frères centrafricains sont restés fidèles.
Pour subvenir à nos besoins, Bernard mis en oeuvre ses talents de menuisier. Un métier qu’il a appris auprès de son père depuis sa tendre enfance. Assez vite grâce à des aides d’organismes il est parvenu à s’équiper : groupe électrogène, combiné, scie à rubans et même, une meule de précision pour aiguiser les fers à toupie. Ayant la réputation de faire du beau travail, il n’eut pas de peine à avoir des commandes. Il aimait surtout faire les meubles, un peu moins les portes et fenêtres : c’était trop banal. Il était tellement perfectionniste dans son travail, qu’il ne parvint jamais à former un de nos aspirants à ce métier. Il s’énervait vite devant les manques de précision. Il ne ménageait pas sa peine ; que de fois n’ai-je pas vu sa chemise recouverte de sciure parce qu’elle restait collée par la sueur.
Mais Bernard ne savait pas que travailler le bois, il savait aussi manier le pinceau, celui les artistes peintres. Il décora quatre églises et notre chapelle de Nadugbé.
Mais, c’est surtout à la cathédrale qu’il réalisa son chef d’œuvre. Cinq mois durant perché sur des tréteaux, il fit de ce bâtiment tout à fait ordinaire, une maison de Dieu où il fait bon se rassembler pour prier.
En 1997, de France où il se trouve en congé, il m’apprend par courrier que le docteur lui interdisait de repartir en Afrique ; il devenait aveugle et cela, à cause de l’excès de nivaquine. J’avoue que Bernard n’a jamais su avoir soin de sa santé. Il avait négligé la nécessité de se protéger des moustiques. Cette décision du docteur fut pour Bernard un vrai coup de poignard tellement il s’était investi en Afrique. Il n’y avait que l’Afrique qui l’intéressait. Les trois quart de ses livres étaient en rapport avec l’Afrique. Commença pour lui un véritable exil. Les multiples soupirs qu’il poussait lors de discussion avec lui en disaient long sur sa déception de ne pas être reparti. Il s’accrochait à l’Afrique comme il pouvait, souvent en parlant sango, la langue nationale de RCA, à n’importe qui et n’importe où, quitte à en être ridicule.
Son entrée à la maison de retraite a été pour lui une deuxième souffrance qui l’enferma assez vite dans une solitude qui, liée à ses graves ennuis de santé, l’a fait mourir à petit feu.
Témoignage de F. René Beauquis