Extrait d’un livre du frère Marie-Abdon Santaner "Le mystère du Père", Éditions de l’Atelier, 1999.
LA « GLOIRE DE NOS PÈRES »...
Je garde de mon père deux souvenirs précis. Je me vois, tenu par sa main, faisant sur mes petites jambes mes premières promenades jusqu’au-delà du cimetière, dans la lumière du soir... Je le vois étendu mort sur l’établi où l’on avait allongé son corps, avec sa joue trouée et son visage ensanglanté que ma mère me faisait embrasser.
J’ai grandi dans le culte de mon père.
Il est possible que cette image vénérée ait contribué à donner sens, quand je les entendais, aux paroles de l’évangile où Jésus parle de son Père. Mais petit à petit j’ai appris à donner sens aux paroles de Jésus à partir de son expérience de la gloire de son Père et non à partir de la gloire du mien.
Car la gloire de nos pères, même les meilleurs, ne nous révèle pas le Dieu Père de Jésus-Christ. Par contre, la révélation de la gloire de ce Dieu, Père céleste, peut nous aider à reconnaître où se trouve la vraie gloire de nos pères de la terre. À l’image de celle du Père céleste, leur gloire se révèle en effet dans la triple expérience du désir, du pardon et de la liberté.
Quand la convoitise enferme tant d’hommes dans la seule recherche de leurs satisfactions, la vraie gloire de nos pères n’est-elle pas dans le fait que ces hommes ordinaires sachent ne désirer pour leurs enfants que la plénitude de vie que leurs enfants désirent déjà eux-mêmes obscurément ?
Quand leur mémoire enferme tant d’hommes dans une recherche de justice identifiée au paiement de toute dette, la vraie gloire de nos pères n’est-elle pas dans le fait que ces hommes ordinaires sachent toujours pardonner à ceux et celles en qui leurs yeux ne cessent de voir leurs « petits » ?
Quand le goût du pouvoir pousse tant d’hommes à s’assujettir d’autres humains pour réaliser leurs ambitions, la vraie gloire de nos pères n’est-elle pas dans le fait que ces hommes ordinaires sachent si bien s’effacer pour que leur enfant se réalise selon ses propres choix, en toute liberté ?
Si les pères depuis quelques générations, ont perdu de leur gloire n’est-ce pas parce qu’on a attendu d’eux autre chose que la vérité de ce qu’ils sont. À travers le désir, le pardon, la liberté, ils attestent que la vie a du sens parce qu’elle est un don gratuit. On a attendu d’eux le bon ordre quitte à leur reprocher ensuite d’entraver la liberté. Du Père céleste aussi on a attendu qu’il contribue au maintien de l’ordre quitte à lui reprocher ensuite d’être supporteur des tyrannies.
Approfondir le Mystère du Père pourrait nous aider à redécouvrir ce qui fait la vraie gloire de nos pères de la terre. Ils sont le rappel vivant que nul n’est à lui-même sa propre origine. Sur l’origine personne n’a jamais mis ni ne mettra jamais la main. L’origine nous précède. Elle n’est pas objet de savoir. On y croit. C’est une question de foi. Saint Augustin s’en est expliqué en une formule célèbre : « Chacun croit qui est son père, sur la parole de la mère ». (De patre creditur interposita matris auctoritate).
À l’homme moderne pour qui tout est objet de savoir, il est bon de rappeler que la question de l’origine relève de la FOI. (…) Si le monde de ce temps redécouvre la Gloire du Père des cieux, il pourra redécouvrir ce qui fait la vraie gloire de nos pères de la terre. (…)