Né à Besse dans le Var en 1831 dans une famille de tisserands, Alphonse-Élisée Chaix entre au noviciat de Marseille en 1851. En 1858, il est envoyé au couvent de Paris où pendant une quinzaine d’années il exerce le ministère de prédicateur et de directeur spirituel. Pendant la Commune, il reste à Paris.
Nommé ensuite à Angers, il crée des ceuvres sociales, fonde une Banque Populaire ainsi qu’un journal, "L’Union économique". En 1880, suite aux décrets anticongréganistes, il retourne à Paris et ne tarde pas à y ouvrir un "Crédit Mutuel et Populaire". De nombreuses autres banques naîtront ensuite en province. Le frère Ludovic comprend rapidement qu’en milieu urbain les banques ne pouvaient se développer si elles gardaient un caractère confessionnel trop appuyé. Mais dans le contexte de conflit grandissant entre l’Église et la République, son intuition n’a pas été accueillie.
Retiré des "affaires" - affaires qui étaient aussi très fragiles - il publie en France puis en Italie (où il part en exil en 1903) un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur la "question sociale", sur l’apostolat, ainsi que d’autres sur la mystique, dont est tiré le texte qui suit. Le frère Ludovic meurt en 1910 à San Remo.
Homme d’un siècle très tourmenté, le frère Ludovic de Besse est le témoin d’une Église qui se laisse conduire par l’Esprit, se met en marche vers Dieu et vers les hommes, se confronte à la modernité pour y opérer un discernement évangélique et redécouvre ainsi son fondement mystique.
La joie spirituelle
Dans la section qui précède celle reproduite ici, le fr. Ludovic a affirmé que la voie de l’amour de Dieu a pour terme "la joie spirituelle, joie constante, joie vivante, qui se manifeste partout, toujours, vis à vis de tout le monde, comme un pieux hommage rendu publiquement à la bonté infinie du Seigneur. Mieux que les oeuvres de charité, cette joie est capable d’ouvrir les yeux aux incrédules, de leur révéler les miséricordes ineffables de Jésus Christ et les charmes de sa religion". On pourra mettre en relation la recommandation du fr. Ludovic “se réjouir du bien fait par les autres plus encore que du bien qu’on a opéré soi-même” avec cet axe essentiel de la spiritualité franciscaine, pour laquelle Dieu est le souverain Bien qui nous donne tous les biens. Par conséquent, comme le dit saint François, aimons “nos proches comme nous-mêmes en attirant tous les hommes à ton amour selon nos forces, en nous réjouissant du bien des autres comme du nôtre...”. C’est ce que voulait vivre le fr. Ludovic lorsqu’il faisait le choix de collaborer avec des hommes qui étaient idéologiquement très éloignés de lui, l’essentiel à ne pas perdre de vue étant “le bien qu’ils faisaient”.
Ajoutons un dernier conseil à l’adresse des personnes qui ont cette joie spirituelle et qui savent la mettre au service des âmes. Elles doivent veiller avec le plus grand soin, en cherchant à faire régner Dieu dans les coeurs, de ne pas travailler en même temps à établir leur propre règne sur les personnes dont elles auront fait la conquête. Ceci est d’une importance capitale. Faute de cette humilité, on gâte tout. Après avoir converti les âmes, on leur inocule un amour-propre qui détruit l’union de la parfaite charité et retarde l’arrivée du règne de Dieu. On est heureux d’avoir quelques personnes et on ne prend pas garde qu’on en scandalise un grand nombre qui peut-être ne se convertiront jamais.
Ce mal est très ancien. Il remonte à l’origine de l’Église. Il a déchiré un moment les chrétiens de Corinthe. Saint Paul fut obligé de les reprendre avec sévérité à ce sujet. (...)
Le remède a un si grand mal est de se réjouir du bien fait par les autres plus encore que du bien qu’on a opéré soi-même. On reconnaît à ce signe si on travaille purement pour le règne de Dieu et si on ne travaille pas aussi pour avoir des satisfactions d’amour-propre. Saint Paul, après avoir si bien reproché aux chrétiens de Corinthe de gâter l’oeuvre de Dieu par ce mélange de sentiments humains, nous a donné plus tard un bel exemple de la pureté de son zèle. Jeté en prison, il écrivait aux habitants de Philippe : « Plusieurs de nos frères en Notre-Seigneur, encouragés par mes liens, sont devenus plus hardis pour annoncer sans crainte la parole de Dieu. Il est vrai que quelques-uns prêchent Jésus Christ par un esprit d’envie et de contention, mais d’autres le font avec une intention droite. Les uns prêchent Jésus Christ par amour, sachant que j’ai été établi pour la défense de l’Évangile. D’autres le prêchent par jalousie, et non pas avec des vues pures, croyant me susciter une plus grande affliction dans mes liens. Mais qu’importe ? Pourvu que Jésus Christ soit annoncé, de quelle manière que ce puisse être, soit par occasion, soit par un vrai zèle, je m’en réjouis et je m’en réjouirais ». (Ph. 1,14-18).
Voilà le langage du pur amour de Dieu, exempt de tout amour propre ! Puissions-nous, à l’exemple de ce grand saint, nous réjouir du bien fait par les autres plus encore que de nos propres bonnes oeuvres ! Puissions-nous en parler volontiers, en en faisant ressortir les avantages et en en dissimulant les imperfections ! Alors nous travaillerons utilement à l’arrivée du règne de Dieu sur la terre.