Quand un frère mineur s’interroge sur la pauvreté


Quand nous cherchons à comprendre notre propre expérience et nos engagements, hommes et femmes à la suite du Christ, selon l’inspiration de François d’Assise, il est primordial de retrouver, au départ, les jalons qui fondent notre cheminement. « Que tous les frères s’appliquent à suivre l’humilité et la pauvreté de notre Seigneur Jésus-Christ. (..) Et ils doivent se réjouir quand ils vivent parmi des personnes viles et méprisées, parmi des pauvres et des infirmes et des malades et des lépreux et des mendiants le long du chemin. (...) Et qu’ils n’aient pas honte et qu’ils se rappellent plutôt que notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant et tout puissant ( .. ) fut un pauvre et un hôte, et il vécut d’aumônes, lui et la bienheureuse vierge et ses disciples » [1]. Nous voilà donc d’emblée renvoyés et interrogés constamment par l’Évangile, à vivre chaque jour. C’est le point de départ de tout.

Quand un frère mineur vivant dans une société occidentale développée, comme la France, s’interroge sur la pauvreté, il est pris de vertige, tant de situations visibles ou occultées l’entourent, tant de questions le tenaillent, pris entre la personne pauvre qu’il connaît près de chez lui (et même pour une seule personne pauvre qui existerait au monde, tout combat peut être valable) et des groupes humains nombreux dont témoignent études, analyses et statistiques de son pays à l’échelle régionale et nationale.

Mais, peut être, la toute première réaction est celle d’une grande modestie. Aucune leçon à donner, questionnement toujours ouvert, regard toujours attentif. Être, avant tout, conscient de sa propre pauvreté. La pauvreté radicale de tout être humain, confronté à ses limites, à sa faiblesse, à sa finitude. Le décalage entre les rêves et la fragilité d’hommes aux prises avec la mort, la maladie, la solitude intérieure, les désirs d’immortalité et de réussite à combler, le temps qui fuit, les forces limitées, les questions existentielles que chacun un jour ou l’autre se pose et qu’il porte toujours au fond de lui, dans la foi et la confiance d’être sauvé. Homme fragile, homme pécheur, homme qui parcourt sa route entre la naissance et la mort... et la volonté de changer le monde, de changer soi-même, de changer les autres, de mettre de la vie dans toute cette fragilité et vulnérabilité. Désir de toute puissance, de tout faire, de tout réussir, de tout chambouler et mesure des limites, des fragilités, des impuissances. « Je suis parfois mon propre mendiant : je m’assieds devant moi et je me tends la main... mais je manque de générosité et ma main reste vide » [2] : C’est là que Dieu vient me libérer, me pardonner, me sauver.

Et en tant que frère mineur, né dans une famille ouvrière simple et modeste, je me retrouve maintenant à avoir choisi une vie de pauvreté, selon l’Évangile. D’autres sont nés dans des familles plus aisées, et ils ont choisi également une vie de pauvreté selon l’Évangile. Pauvreté choisie qui se heurte à la pauvreté subie de tant d’autres hommes et femmes autour de moi... Comment situer la pauvreté volontaire par rapport à la pauvreté subie ? Vivre de mon travail, ne pas accumuler de richesses intellectuelles et matérielles, partager, être attentif, être ouvert... Si j’ai pu m’en sortir, d’autres le pourraient aussi... Exaspérer les oppositions entre groupes sociaux ? Ou surmonter les clivages sociaux ? Raisonner en termes d’appropriation, d’accumulation ou d’égalité, de partage, de « fraternité » ? Ne pas vivre de « privilèges » de toutes sortes, malgré toute l’assurance que peut m’offrir la grande famille des frères qui m’accueille et me soutient... Et reprendre constamment l’interrogation sur mon niveau de vie, sur celui de mes frères, sur les soucis, matériels et intellectuels, qui nous stimulent et parfois nous débordent aussi...

F. Francesco Azzimonti [3]

Notes

[11ère Règle de saint François, 9, 1-9

[2Christian Bobin, Prisonnier au Berceau, Mercure de France, Paris, 2005, p. 64

[3Introduction d’un article de Francesco Azzimonti, ofm, Un combat contre l’illettrisme, l’analphabétisme et la marginalisation, publié dans Pauvretés dans le monde, réflexions franciscaines, édité par Franciscans International (2007).
Fr. Francesco Azzimonti s’est spécialisé dans l’alphabétisation de jeunes et d’adultes et dans la formation des formateurs bénévoles et professionnels dans la région Rhône-Alpes.