Frère René Calvarin, né en 1918, mort en 2007, a passé de nombreuses années en Éthiopie, après avoir été en Inde. Voici une interview de lui réalisée en 1995, dans laquelle il raconte son itinéraire.
René, peux-tu nous dire quelles sont tes origines ?
Je suis né à St Pabu dans le nord Finistère en Bretagne. Je suis le dixième enfant d’une famille de douze enfants. On avait une toute petite ferme où nous étions locataires. J’ai vécu dans une famille très pauvre. J’ai quand même pu aller à l’école jusqu’au certificat d’étude. Après, tout de suite il fallait commencer à travailler. Je suis donc devenu domestique dans une ferme.
Combien de temps as-tu été ouvrier agricole ?
J’ai travaillé deux ans et demi dans des fermes. A 17 ans, je n’étais pas satisfait de ce travail et je suis parti au Havre pour essayer de trouver du travail au port sur un bateau de commerce. En attendant de trouver du travail, je suis allé à la maison du marin dont l’aumônier était un capucin le P. Colomban. Il s’est occupé de moi, mais je n’ai pas trouvé de travail ! Au bout de 15 jours, il m’a proposé : « et si tu devenais frère capucin ? ». Très vite je lui ai répondu : « je veux bien » .
Connaissais-tu les capucins déjà ?
Je ne savais pas très bien ce que c’était !
J’avais tout de même rencontré d’autres capucins à l’occasion d’une mission paroissiale à Plouguin où je travaillais avant. A la fin de ma scolarité j’avais été consulter un ophtalmo à Brest qui m’avait absolument déconseillé de faire des études à cause du mauvais état de ma vue.
Le P. Colomban m’a conduit à la gare et je suis allé au Mans. Le fr. Maître des novices est venu m’accueillir au train et voilà j’ai commencé mon noviciat ! j’avais 17 1/2 ans. Je me suis beaucoup plu pendant ce temps.
Et après qu’as-tu fait ?
J’ai d’abord été marmiton à Dinard puis à Petite chapelle en Belgique. Après 2 mois d’intermède au service militaire, je revenu à Dinard où j’ai fait ma profession solennelle. Très vite j’ai été envoyé à Roscoff à l’accueil parce que je savais le breton. J’y ai passé une bonne partie de la guerre. C’est à cette époque que j’ai commencé à penser à la mission. J’ai commencé à apprendre l’anglais tous les jours avec la méthode Assimil...
Un jour j’ai reçu une lettre du provincial qui m’envoyait en mission en Inde. C’était en 1946 , juste après la fin de la guerre. Avant de partir j’ai suivi quelques cours d’anglais à Angers.
Où es-tu parti alors ?
J’ai pris un bateau, à partir de Liverpool. Je suis parti avec les P Agathange, Gatien et Roland. Le voyage fut long jusqu’à Bombay. J’y suis arrivé malade. Très vite j’ai rejoint Ajmer, la capitale du Rajpoutana. Là, le supérieur nous donna un an pour apprendre les langues, l’anglais, l’histoire et la géographie de l’Inde. L’année suivante j’ai appris l’hindi. J’étais heureux comme vous dans cette vie. Après ce temps je fus envoyé dans le pays Bilh. Il me fallut apprendre encore une langue pendant 3-4 mois. Peu de temps après, au cours d’un voyage en train j’ai eu un tassement de la colonne vertébrale. J’ai consulté beaucoup de monde et j’ai dû resté allongé 2 ans. Comme ça n’allait pas mieux j’ai dû revenir en France pour me soigner. On me mit un corset. Arrivé à Roscoff un chirurgien m’opéra : résultat après la convalescence tout allait mieux . J’ai profité de cette période pour me former en médecine tropicale élémentaire à Angers, puis Lille. Après quelques mois j’ai pu repartir en Inde pensant travailler dans un dispensaire.
C’est ce qui s’est passé ?
Arrivé là-bas, j’ai été nommé préfet de discipline dans un collège ! Ce fut une déception, mais j’ai accepté. Il ne faut jamais dire non ! Je me suis habitué à l’école et je suis devenu instituteur. J’enseignais l’anglais ! j’ai fait ce travail plusieurs années.
L’Église commençait déjà a bien s’implanter. Il y avait pas mal de prêtres. Alors le provincial le P. Apollinaire à décider de nous transférer en Éthiopie où il y avait beaucoup de besoins...!
Tu es parti en Éthiopie tout de suite ?
Je suis arrivé à Dire-Dawa en Janvier 1958 venant directement de l’Inde ! La transition fut rude. Là-bas, comme on savait que j’avais travaillé dans des écoles ; on me confia de nouveau des élèves à Wassera. Je ne fus pas très content ! j’aurais aimé avoir un travail apostolique ! Je ne connaissais pas la langue du pays. Je m’y suis mis tout de même. Et j’y ai mis toute mon énergie. J’enseignais tout en Anglais. J’y suis resté 12 ans. Il y avait 700 élèves dans l’école. Cette formation a produit ses fruits. Aujourd’hui j’ai des anciens élèves dans des postes à responsabilité un peu partout. Après quelques années je suis même devenu inspecteur des écoles.
Tu n’étais pas prêtre à l’époque ?
En rentrant chez les capucins je voulais devenir prêtre. Mais les supérieurs considérèrent que c’était mieux que je reste frère laïc. Cette question ne me quittera pas cependant. En Inde j’avais refait une demande. En Éthiopie mes confrères sollicitèrent le provincial dans ce sens, à mon insu. Et un jour le P. Léon venu nous visiter m’a proposé de devenir prêtre si je le désirais toujours, sans que je fasse ma demande. J’avais 50 ans !
Tu as dû faire des études ?
Le Fr. Raymond avait fait la même démarche que moi. Pendant quelques mois on est allé à Reims où nous avons travaillé avec l’aide du P. Jérôme. Il nous a donné des bases. A la rentrée scolaire suivante nous somme allés à Fribourg à l’ « école de la foi » du P. Loew. Nous y sommes restés 2 ans. Ce fut une excellente formation intellectuelle et spirituelle. Pour subsister je distribuais des journaux tous les matins de 5h à 7h. J’ai beaucoup apprécié ce temps d’études. J’ai aussi fait une année d’étude à Issy-les-Moulineaux.
Où as-tu été ordonné ?
J’ai été ordonné dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris par le Cardinal Marty. Ce fut un jour magnifique.
Après cela tu es reparti en Ethiopie ?
En effet, mais je ne suis pas reparti au même endroit. C’était la période où nous devions nous regrouper dans le Hararghé. Je choisis donc d’aller à Métahara. Il n’y avait rien quand je suis arrivé. J’ai loué une petite maison. J’ai trouvé un grand terrain. J’ai commencé à contacter quelques chrétiens. J’ai circulé dans les camps des plantations de canne à sucre et petit à petit j’ai découvert des familles de chrétiens isolés. J’ai formé quelques catéchistes. Au fil des ans le nombre des chrétiens a augmenté. J’ai régularisé beaucoup de mariages. J’ai formé beaucoup de catéchumènes. Les baptêmes se sont multipliés. Plus tard on a construit une église qu’il a fallut agrandir après.
Il y a eu beaucoup de conversions ?
Les conversions sont venues plus tard, pendant la période révolutionnaire. En partie parce que beaucoup de sectes avaient été interdites. Ils se sont tournés vers les catholiques. La croissance fut très rapide à cette époque. Il y avait beaucoup de gens sans religions. A Pâques dernier, il y a eu une centaine de baptême d’adultes, des familles entières...
Ce sont des communautés vivantes ?
Il y a des réunions de prières presque tous les soirs pour les jeunes, les enfants, les adultes. Dans tous les camps c’est comme ça. Les gens sont très fervents.
Y-a-t-il beaucoup de catéchistes le laïcs actifs ?
Il y a beaucoup de jeunes qui s’engagent. Je forme beaucoup de catéchistes, un peu sur le tas. Il n’y a pas d’école de catéchistes.
Y-a-t-il beaucoup de vocations ?
Depuis quelques années, il y en a beaucoup . Il y en a au séminaire diocésain, plusieurs chez les capucins . Il y aussi beaucoup de filles qui sont rentrées chez les sœurs.
Participes-tu aux actions de développement ?
J’ai mis en place un service pour venir en aide aux enfants mal nutris et à leurs mères. J’ai créé aussi un dispensaire. Et j’ai accueilli des volontaires irlandaises qui vont faire des soins et de la formation auprès des karayous, une tribu nomade. J’ai ouvert aussi une école. Au début elle était importante. Mais au moment de la révolution elle fut fermée. Je n’ai pu la rouvrir que plus tard. Mais elle est toute petite. Et je me sens trop vieux pour me relancer dans cette aventure.
Quel est ton meilleur souvenir de missionnaire ?
Ce qui m’a marque le plus c’est la préparation aux baptêmes. Les confessions avant le baptême. C’est extraordinaire de voir l’action de l’Esprit. Les grandes célébrations m’ont toujours touché.
Qu’attends-tu de nous ?
Il faut des prières, pour les missionnaires et pour les nouveaux catéchumènes pour les aider. Je crois beaucoup à la communion des saints.