Nous reproduisons ci-dessous un article de F. Marie-Abdon Santaner.
Le texte est probablement issu d’une conférence donnée lors d’une assemblée synodale du diocèse d’Évry.
Cet article a été publié dans "Info 91", bulletin du diocèse d’Evry (n° 287, avril 1997).
« Comment cela se fera-t-il ? »
L’ange Gabriel vient d’annoncer à Marie qu’elle sera mère du "fils du Très-Haut". Et Marie pose à ce messager une seule question : "Comment cela se fera-t-il ?" Elle ne demande pas : "Que dois-je faire ?" ou "Que faut-il faire ?" Rigoureusement traduite, sa question est :"Comment cela sera-t-il ?"
À nous aussi, à travers les faits ou les situations rencontrées, la vie en Église propose telle ou telle "fécondité", une équipe à faire naître, une rencontre à susciter, une démarche à faire aboutir, un service à rendre, une collaboration à obtenir... Devant ces "annonces qui nous sont faites", quelle est la question qui nous vient en premier lieu à l’esprit ? Gageons-le sans crainte. La question que nous nous posons est presque toujours du type : "Que dois-je faire ?", "Que faut-il faire ?", ou "Comment vais-je le faire ?"
Prenons donc le temps de comparer notre réaction première à celle dont témoigne la réponse de Marie. Cette comparaison peut nous ouvrir un chemin vers une meilleure prise de conscience du rôle de l’Esprit Saint dans notre vie.
Nous le constatons, Marie n’a pas dit "Comment vais-je faire ?" ni "Que faut-il faire ?" ou "Que dois-je faire ?"... Elle a dit "Comment cela se fera-t-il ?" La différence peut sembler minime. Peut-être même, aux yeux de certains, sera-t-elle, au premier abord, jugée inexistante. Pourtant, ce qui différencie les deux types de question n’est pas simple nuance. La différence est radicale. Mais saisir cette différence relève du regard de la foi !
Entre "Comment cela se fera-t-il ?" et "Comment vais-je faire ?" ou "Que dois-je faire ?", le regard de la foi repère en effet un véritable abîme. Car le regard de la foi distingue ici deux démarches radicalement différentes : la démarche où l’homme, pour réaliser ce qui est à faire, ne compte que sur ses propres énergies et la démarche où l’homme, tout en mobilisant toutes ses énergies dans ce qu’il fait, sait d’avance qu’il n’obtiendra de résultat qu’en se gardant sous la mouvance de l’Esprit.
Nous sommes tous pleins de bonne volonté. Tous nous avons le désir du bien. Tous nous cherchons à promouvoir la venue du Royaume. Mais tous, aussi, au moins inconsciemment, nous sommes tributaires de l’instinct d’autosuffisance. Et cet instinct nous fait oublier la parole de Celui qui a dit “Sans moi, vous ne pouvez rien faire” (Jn 15, 5).
Ici, entendons-nous bien ! L’homme dispose d’une entière autosuffisance quand il s’agit des activités par lesquelles il s’assujettit les choses et les transforme. Mais il n’y a pas et il ne peut pas y avoir autosuffisance dans le domaine du Salut Nous ne construisons pas le Royaume. "Il vient" (Mt 6, 10). Le monde nouveau pour lequel nous œuvrons est une Cité "dont Dieu seul est l’architecte et le constructeur" (He 11, 10).
En nous disant : "Sans moi, vous ne pouvez rien faire", Jésus nous invite à entrer dans les dispositions qu’exprime la question posée par Marie : "Comment cela se fera-t-il ?" Nous savons la réponse qui lui a été faite : "L’Esprit Saint viendra sur toi..." Dans l’ordre du Royaume, c’est-à-dire dans l’ordre de notre participation à la mission de l’Église, nos activités ne peuvent porter de fruit que par cette présence sur nous de l’Esprit Saint déployant à travers nous sa puissance de vie...
On se demandera peut-être comment reconnaître en nos vies cette présence de l’Esprit. Les signes ne manquent pas. Mais nos yeux ont beaucoup de mal à les discerner. Nous sommes parfois tellement possédés par nos projets que notre regard se polarise uniquement sur les moyens à mettre en œuvre pour les réaliser. Un tel regard a cessé d’être regard de foi. Comment verrait-il les signes qui attestent la présence et l’action de l’Esprit ?
Un premier signe de cette présence et de cette action nous est donné si nous menons nos activités dans la patience. La puissance de l’Esprit se déploie selon les lois de la vie. Notre esprit, lui, pense "résultats". Les paraboles de la semence qui germe en y mettant le temps ne lui restent pas spontanément présentes. Il faut pour cela que l’Esprit de Dieu "vienne se joindre à notre esprit" (Rm 8. 16). Notre désir de fécondité se garde alors en dépendance de la fécondité de Celui à qui l’Esprit nous fait dire "Abba !... Père !..." On devient ainsi source de vie, chacun pour sa part dans l’unique source de toute vie.
La patience indispensable au développement de la vie n’est possible que si l’on est capable de désappropriation. Or l’aptitude à se désapproprier est en nous une participation à la vie de l’Esprit. L’Esprit Saint a en propre d’assurer dans le mystère de vie un échange permanent entre le Père et le Fils. Par l’Esprit, chacun des deux ne cesse de se désapproprier de tout l’être divin pour le remettre à l’autre. La capacité de nous désapproprier de nos activités au service du Royaume et, plus encore, de nous désapproprier de tout droit sur elles, est un signe majeur de la disponibilité à l’Esprit.
Que nous soyons prêtres ou laïcs, le déploiement de nos activités entraîne nécessairement des dépenses d’énergie. La désappropriation dont l’Esprit nous rend capables nous évite à ces dépenses d’énergie de se transformer en usure. Lorsque nous nous usons à mener certains combats il faut nous demander si ce que nous défendons est vraiment de l’ordre du Royaume. Il arrive que tel ou tel attachement à nos vues rende impossible toute “synergie” avec l’Esprit. Alors on s’use, on se crève, on se tue et on finit par capituler tellement la fatigue a pris le dessus. On est victime de ses limites parce que ces limites n’ont pas été vécues dans l’Esprit.
La mission nous engage dans le service des hommes Il s’agit de collaborer avec Jésus Christ afin que "tous aient la vie". Nous ne pouvons espérer "porter ce fruit" qu’en nous laissant conduire par l’Esprit. C’est là ce que Jésus-Christ a fait. Il a ainsi surmonté des limites qui, en lui, étaient les limites communes à tous les hommes. Comment "vivre nos limites" ? La réponse n’est-elle pas dans la question posée à l’ange par Marie ? C’est par l’Esprit Saint qu’elle a pu "porter le Fuit de Vie".
Marie-Abdon Santaner