Nous nous sommes mis en route avec François et nous avons pressenti que sa ferveur eucharistique était liée à un profond attachement à la personne du Christ. La rencontre des lépreux lui avait ouvert un chemin d’humanisation et il avait patiemment exercé la miséricorde à leur égard. Cette proximité manifestait aussi l’humilité de l’incarnation et ces hommes défigurés devenaient « comme un sacrement » orientant mystérieusement vers le Christ. De même, l’expérience de Saint Damien avait bouleversé François. Toute sa vie, il fut saisi par la révélation d’un excès dans l’ordre de l’amour : « Nous devons beaucoup aimer l’amour de Celui qui nous a beaucoup aimés » (2Cel.196)
François et Jésus
François était passionné par la personne du Christ et sa manière de définir la vie des frères suggère l’unique orientation de son amour. Il s’agit essentiellement de « suivre la doctrine et les traces de Notre Seigneur Jésus Christ » Il est difficile de saisir le lien intime qui l’unissait à Jésus mais il convient de souligner le profond équilibre de la christologie de François. Le Christ est le passage obligé donnant accès à la vie trinitaire et cela exclut tout rapport « fusionnel » Quoi qu’il en soit, sa vie et ses écrits sont riches de cette passion amoureuse et, sur ses lèvres, le nom de Jésus acquiert une saveur incomparable. Laissons simplement retentir à nos oreilles le cri émerveillé de son amour : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
_ Dans cet horizon mystique, son unique projet fut de chercher les traces du Bien-aimé. Il désirait voir Celui dont il avait éprouvé l’amour comme une force brûlante et cette recherche a déterminé tous les moments de son existence. En conséquence, la découverte de l’eucharistie a semblé inscrire un trait de lumière dans cette interminable quête. François considérera ce sacrement comme le prolongement de l’incarnation car le Seigneur s’approche et se livre à notre contemplation. Il célébrera le mystère de la proximité de Dieu avec un certain réalisme : « Le Maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous l’humble apparence d’un peu de pain ! (3Let, v.27) Ainsi le Seigneur a-t-il choisi de demeurer avec nous jusqu’à la fin du monde. (cf. Adm1)
Voir et croire
François « entendait tous les jours la messe » et cette fidélité quotidienne lui offrait un lieu pour la rencontre et la possibilité de voir Celui dont il voulait suivre les traces. Il se situait dans un contexte qui favorisait l’émergence de nouvelles pratiques. Nous savons que le moment de l’élévation suscitait l’intérêt des chrétiens : on désirait voir l’hostie. Cette dévotion fut à l’origine de l’adoration eucharistique en dehors de la Messe et Jean-Paul II, dans sa lettre apostolique « Mane nobiscum Domine », nous en a rappelé la fécondité. N’invite-t-il pas les membres des communautés religieuses à « rester longuement prosternés devant Jésus présent dans l’eucharistie ? »
De longues heures d’adoration sont susceptibles de développer une conscience eucharistique mais elles peuvent entraîner de fâcheuses déviations. Ne faut-il pas demeurer vigilants pour ne pas « chosifier » le Christ en considérant isolément le sacrement ? Pour les contemporains du saint d’Assise, cette insistance fut vraiment dommageable car la contemplation du sacrement constituait l’essentiel de la pratique : les fidèles assistaient à la messe sans communier. François, réaliste et concret, resta attentif et souligna la nécessité d’un regard éclairé par la foi pour appréhender le divin. Il insista sur un dynamisme qui est celui de l’Esprit et s’écarta ainsi d’une vision figée de l’eucharistie. La foi illuminait les yeux de son cœur aimant en lui permettant de déchirer les apparences. Pour lui, le doute était absent : il atteignait le Seigneur en personne. L’eucharistie devint le lieu « par excellence » de sa rencontre avec le Bien-aimé et nous percevons distinctement le chant de son cœur amoureux : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ».
Fr. Benoit Lhote
Voyez :
chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge ;
chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ;
chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre.
Et de même qu’il se présentait aux saints apôtres dans une chair bien réelle, de même se montre-t-il à nos yeux maintenant dans le pain sacré.
Eux, lorsqu’ils le regardaient de leurs yeux de chair, ne voyaient que sa chair ; mais ils le contemplaient avec les yeux de l’esprit, et croyaient qu’il était Dieu.
Nous aussi, lorsque, de nos yeux de chair, nous voyons du pain et du vin, sachons voir et croire fermement que c’est là, réels et vivants, le Corps et le Sang très saints du Seigneur. Tel est en effet le moyen qu’il a choisi de rester toujours avec ceux qui croient en lui, comme il l’a dit lui-même : Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin du monde.
Saint François d’Assise, Admonition 1, 16-22