Dans la nuit du 23 septembre, le frère Jean-Marie LANNUZEL
s’est endormi dans la paix du Seigneur, âgé de 93 ans, après 62 ans de vie capucine.
Né le 24 février 1917 à Loc Maria-Plouzané (29), Jean-Marie Lannuzel a quitté la ferme paternelle à 20 ans pour le noviciat des Capucins du Mans où il fait profession le 12 août 1938 sous le nom breton de Fr. Thégonnec. Profès perpétuel depuis le 19 janvier 1947 à Tours, il y a commencé en 1938 son service de cuisiner, qu’il continuera en 1949/50 à Paris-Boissonade, avant de revenir au Mans comme cuisinier et frère maître pendant 16 ans, marquant un grand nombre de novices par son témoignage de prière et de vie simple et fraternelle. A partir de 1967, il est portier à Paris-Boissonade : pendant 20 ans il accueille des centaines de pauvres qui viennent chaque jour chercher une soupe chaude et une parole réconfortante. C’est en 1987 qu’il est envoyé à Angers où il est heureux de cultiver la vie communautaire et le jardin potager pour le menu quotidien. Depuis deux ans, il est soigné à l’infirmerie, sa paralysie ne l’empêchant pas de rester en communion sereine et priante.
"Il y a un temps pour engendrer et un temps pour mourir…
un temps pour se taire et un temps pour parler" (Ecclésiaste 3)
A l’occasion d’un travail de réflexion sur la vocation de "frère laïc", il y a une douzaine d’années, frère Jean-Marie avait écrit deux textes que nous reproduisons ci-dessous :
Un choix ferme
J’ai fait profession le 15 août 1938. Je suis parti à la guerre en septembre 1939 comme tant d’autres, et je ne suis revenu de captivité qu’en 1945. J’ai essayé de vivre ma vie de frère capucin durant ce temps.
Arrivé en Allemagne en août, j’ai été affecté à un « Kommando » avec 50 autres pour travailler dans une intendance militaire sous la coupe des officiers allemands, travail plutôt de docker : charger et décharger des wagons destinés à l’armée. Les copains sachant que j’étais frère capucin m’ont bien souvent taquiné là-dessus ; n’étant que frère, donc « domestique des Pères, bonne à tout faire, pendant que les Pères vont en paroisse prêcher des missions, avec dans les presbytères bonne cave et bonne cuisine. Il faut avoir tué père et mère pour rentrer là-dedans. Tu n’es pas bouché à ce point pour ne pas faire des études ... » et bien d’autres choses. Cela ne m’a pas ébranlé dans ma vocation de frère capucin. Tous étaient de grands copains, j’en garde de très bons souvenirs qui continuent jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement beaucoup sont morts, les rangs se resserrent de plus en plus.
Enfin, en 1945, c’est le grand retour, la joie de retrouver la famille. Mon père était mort durant ce temps. J’ai attendu mon frère, qui était aussi prisonnier, pour le voir avant de repartir.
Puis ce fut le retour au couvent de Tours. Dans ma naïveté, je pensais m’habituer tout de suite comme si rien n’était changé depuis mon départ. Ce ne fut pas le cas : je me trouvais de nouveau prisonnier. Six ans avaient passé depuis. Je m’en suis ouvert à un Père. Il me dit : « faut pas t’étonner, je connais plusieurs qui se trouvaient pas à l’aise avec leur femme les premiers jours de leur retour ».
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_ Enfin ce fut le chapitre de 1945. Je fus nommé cuisinier au couvent de Tours. Ce fut ma délivrance, car à partir de là les nuages ont disparu et je crois aussi, le diable. Je suis persuadé qu’il était pour quelque chose là-dedans. Je me suis trouvé à l’aise de nouveau dans ma vocation. Depuis j’ai toujours vécu dans des grands couvents, cela m’a toujours plu. J’aimais les offices de nuit, les matines où on avait le plaisir de se coucher une seconde fois sur une paillasse !
Arrivé maintenant à quelques mois de mes 80 ans, je suis encore content de rendre service, au jardin, d’aider les frères malades et deux fois par semaine de servir les repas dans un Foyer de pauvres. J’y rencontre beaucoup de jeunes plus ou moins à la dérive. Je me dis quelquefois que j’aurais pu être des leurs ... Alors merci Seigneur d’être toujours un capucin heureux.fr. Jean-Marie Lannuzel
Ma vraie vocation de capucin
Avant le Concile, l’office des frères était le Pater, en union avec les pères et les clercs qui psalmodiaient leur bréviaire. C’était notre office, on y était habitué. Cela ne posait pas de problèmes. À Tours, couvent d’études, où je suis resté plusieurs années comme cuisinier, il y avait entre 30 et 35 étudiants. J’aimais beaucoup les entendre psalmodier, je trouvais que c’était beau, malgré que je ne comprenais rien ; c’était en latin. Cela m’aidait à prier mes Pater, je m’unissais à eux. J’aimais aussi les matines en pleine nuit. À cette heure on n’avait pas les soucis du travail. L’esprit était vierge, la prière était plus facile et il y avait le plaisir de se remettre au lit une deuxième fois. C’était magnifique ! Et puis entre frères quand on le pouvait on disait le chapelet en travaillant. Il me semble que c’était une bonne chose, surtout pour les jeunes. Ce la permettait de demeurer davantage en présence du Seigneur dans une atmosphère de silence et de recueillement. C’était avant le Concile, il y avait une séparation nette entre les pères, les clercs et les frères laïcs.
Dans la suite, petit à petit, il y a eu un grand rapprochement, on ne faisait plus qu’une seule famille. Maintenant l’office est en français,
nous avons notre bréviaire comme tout le monde. Ceux qui le souhaitaient ont continué de dire les Pater. Je crois que maintenant tout le monde prie avec le bréviaire célébré ensemble. Pour ma part, le changement s’est fait sans difficultés et il me coûterait de revenir en arrière.
Ce qui m’a aidé dans ma vocation, c’est l’exemple de plusieurs anciens confrères qui étaient de vrais hommes de prière et des travailleurs, en général ouverts et tolérants. Que de fois on m’a dit : vous avez de la chance, vous n’avez pas de soucis ni de charge de famille. C’est vrai d’une certaine façon, quand je vois tant de misères et de souffrances autour de moi, je me sens privilégié. Mon devoir est donc de prier pour tout ce monde. C’est ma vraie vocation de capucin.fr. Jean-Marie Lannuzel