Le 11 juin 2020, notre Frère Léon Gahier est décédé à la Maison de Retraite la Source à Tours. Il était âgé de 100 ans.
Ses obsèques ont eu lieu mardi 16 juin à 16h00, en l’église du Christ Roi, paroisse Saint-Sauveur à Tours.
Deuxième d’une famille de six enfants, Léon Gahier était le fils de Daniel Gahier, journaliste à La Province, organe catholique de Rennes ; sa mère, Gabrielle Papet, était femme au foyer. Léon Gahier fit sa scolarité primaire à domicile, poursuivit ses études secondaires à l’internat Saint-Louis de Saint-Nazaire et entra, en 1937, au noviciat des capucins au Mans . Il fit successivement son scolasticat à Breust-Eysden dans le Limbourg hollandais, à proximité de Maastricht, en 1938-1939, à Tours en 1939 et à Nantes de 1941 à 1945. Il a été ordonné prêtre le 19 mars 1944.
Après qu’il eut enseigné le latin et le grec pendant un an au collège Saint-Fidèle à Angers , le provincial des capucins le désigna en 1946, honorant ainsi la demande de l’archevêque de Paris, le cardinal Suhard, pour constituer une équipe missionnaire au Petit-Nanterre (Seine, Hauts-de-Seine), à proximité de la paroisse du Sacré-Cœur de Colombes dont le curé, Georges Michonneau, Fils de la Charité, était le promoteur du renouveau paroissial. Avec ses frères, Léon Dillaye (le père Césaire) et André Beaugé, Léon construisit une baraque en bois en plein quartier déshérité, rue des Pâquerettes, qui allait devenir, en dehors des structures paroissiales, le lieu de la « fraternité capucine » et compter parmi les expériences missionnaires du diocèse de Paris.
A Nanterre, Léon découvre le travail manuel, la vie misérable et besogneuse, « la lutte des classes », le syndicalisme à la CGT, l’incroyance. Après un stage de trois semaines dans une usine à gaz à Clichy (Seine, Hauts-de-Seine), grâce à un patron compréhensif, il trouva successivement du travail comme ouvrier à la Compagnie continentale des compteurs à Colombes (Seine, Hauts-de-Seine), à La Rhonelle (réparation de wagons de marchandises) où il fut licencié pour raisons syndicales (juin 1949), puis aux Papeteries de la Seine où les conditions de travail étaient pénibles : « Nous travaillions à moitié nus sous une température de 50 à 60 degrés. Je faisais les trois huit. C’était très dur, je me demandais si j’allais tenir, il le fallait, c’était indispensable », dira-t-il en 1997.
En 1949, il est envoyé pour des raisons de santé à Tours. En 1952, l’archevêque de Tours, Mgr Gaillard, le renvoie en usine. Il trouve un emploi dont il sera licencié pour activité syndicale. Il en trouve un autre mais en 1954, "Rome" interdit l’expérience des Prêtres Ouvriers, décidant que les prêtres ne devaient pas travailler plus de trois heures par jour. Auprès des copains, Léon fera alors figure de « lâcheur » pour obéir au Pape. « J’ai cru davantage au dialogue avec la curie romaine qu’à un refus brutal d’obéir. Il a fallu expliquer, rencontrer les autorités romaines. Ne pas se soumettre à Rome conduisait tôt ou tard à la rupture définitive avec l’Église, pour moi mère et source de ma foi. Il fallait vivre la double fidélité du monde ouvrier et de l’Église », racontera-t-il quelques années plus tard. Soumis aux consignes romaines, il travailla alors, avec l’accord de son évêque, dans différentes exploitations agricoles à Véretz et Mettray (Indre-et-Loire), puis devint chiffonnier dans le quartier des Halles à Tours, vivant parmi une population en marge du monde salarié, « un peuple miséreux, bruyant, dur et fraternel ». Puis il y eut le concile à la fin duquel l’épiscopat français, en accord avec le pape Paul VI, relança l’expérience des prêtres-ouvriers en France. Jusqu’à sa retraite en 1980, militant ardent, Léon est passé par de multiples entreprises, licencié 6 fois pour action syndicale, dans le bâtiment où il avait obtenu, en 1956, un CAP, le commerce, la manutention. Il est en même temps au service de militants chrétiens de divers syndicats en ACO, JOC. Il a milité 12 ans au Parti socialiste qu’il a quitté, estimant qu’il n’était pas assez proche des travailleurs. Avec les frères Césaire Dillaye, François Vanhuffel, Francis Scandella, il est aussi présent au mouvement des Compagnons de Saint François.
Durant ce parcours aux divers engagements, Léon a été six ans membre de l’équipe nationale des prêtres ouvriers, est resté en lien avec les frères des petites fraternités au travail, et avec le réseau des sœurs et frères de la famille franciscaine en monde ouvrier. Mais le temps de la retraite, ce sera aussi celui de l’insertion dans la vie quotidienne d’un quartier avec les relations ordinaires ou spontanées que créent les circonstances et l’attention aux autres, et il y prendra des responsabilités.
En ses derniers jours, Frère Léon a ressenti douloureusement le temps du confinement en raison du manque de relations. Nous nous associons à la peine et à la prière de sa famille et disons notre merci reconnaissant à tous ceux et celles qui l’ont entouré, pris soin de lui, et aussi notre espoir en un monde meilleur à tous ceux qui ont partagé sa passion pour plus de justice et de mieux vivre en humanité.
Tout au long de sa vie, Frère Léon n’a pas caché sa foi ni sa qualité de prêtre, et en homme libre, respectueux des opinions de chacun, il s’est adressé à ses camarades et à ses amis, « à ceux qui croient au ciel et à ceux qui n’y croient pas », disait-il, pour les inviter à fêter tant ses 75 ans de sacerdoce que son centenaire en octobre dernier. Avec sa grande sensibilité humaine et franciscaine pour les personnes en quelque souffrance, qu’il exprimait aussi dans ses poèmes, il restera vivement d’une grande proximité, porteur d’un message pour beaucoup, et un témoin, à la mesure de chacun. Que Dieu soit sa JOIE !
« A vous tous…PARDON. A vous tous…MERCI. A vous tous…A BIENTÔT » Fr Léon Gahier. Fr. Min Cap -P.O.
Lire aussi l’article publié dans la Nouvelle République, le 11 juin : Disparition à 100 ans du père Léon Gahier, prêtre-ouvrier : le fidèle et le révolté