Pourquoi un comité interreligieux de la famille franciscaine en France ?
Pourquoi le souci du dialogue interreligieux et l’intérêt pour la rencontre effective d’autres croyants habitent-ils des membres de la famille franciscaine ? Quel est le rapport entre cet élément caractéristique de notre temps de mondialisation – la rencontre accélérée des cultures et des peuples – et la spiritualité d’un saint chrétien du treizième siècle, Saint François d’Assise ?
Une position non-violente de la foi chrétienne
Les Croisades sont perçues habituellement comme des épisodes funestes, violents, injustes, dans l’Histoire de l’Église en particulier, et dans celle de l’Occident en général. Ce n’est pas le lieu de le discuter, mais il se trouve que François d’Assise, en pleine croisade, va trouver le sultan d’Égypte les mains nues pour parler avec lui. Et que cela se produit, sans que rien apparemment ne change dans l’ordre des choses, à l’époque. Sauf que les frères de François seront par la suite désignés par les responsables politiques musulmans de Jérusalem comme gardiens des lieux saints chrétiens en terre sainte et qu’ils sont encore considérés comme tels aujourd’hui.
Sauf que la mémoire de cet événement non-violent, relaté dans quelques chroniques de l’époque, ne deviendra brûlante que lorsque notre Église se sera sérieusement posée la question du sens de la présence des autres croyants. Après le Concile Vatican II, et la constitution Nostra Aetate [1] sur les relations entre l’Église et les religions non-chrétiennes, la graine semée en 1219 chez François donnera naissance à l’Esprit d’Assise avec la rencontre du 27 octobre 1986 de dignitaires des religions du monde autour de Jean-Paul II.
Ainsi le comité interreligieux de la Famille Franciscaine s’inscrit dans ce sillon non-violent creusé depuis plus de cinquante ans par des associations islamo- et judéo-chrétiennes : éliminer de nos discours, de nos pratiques, de nos liturgies, ce qui est source de violence faite à l’autre croyant du fait d’une revendication exclusive chrétienne, voire catholique, de la vérité, d’une mauvaise compréhension de l’histoire, ou de préjugés.
Une position ouverte de la foi chrétienne
François d’Assise s’en est retourné d’Égypte plutôt marqué par sa rencontre avec Malik Al Kamil, même s’il est assez difficile de dire en quoi [2]. Dans son sillage, je crois que chaque membre du comité se laisse interroger, bousculer, déplacer par les autres membres. Par exemple, les Chrétiens y vont avec la conviction qu’ils ont quelque chose à apprendre du Christ à travers l’expérience spirituelle des autres croyants. Quelque chose qu’ils ne pourraient pas apprendre ailleurs ! Ils constatent que le mystère du Christ dépasse son Église visible, que son Corps mystique est bien plus vaste que son Corps institutionnel. Les théologiens creusent ces questions de leur point de vue. Nous tentons de les vivre à travers nos rencontres, nos échanges, nos projets communs. Et c’est passionnant !
Ainsi, je crois que l’autre croyant m’apprend à mieux vivre ma foi chrétienne, à mieux vivre tout court d’ailleurs, puisque la noblesse du comportement, la courtoisie dans la relation à l’autre, sont bien parmi les critères de discernement de notre relation à Dieu. Et nous tentons de cultiver ces dimensions éthiques fondamentales dans notre groupe.
Alors, les complexes de supériorité s’estompent pour laisser place à des relations d’amitié, où l’autre est admiré dans sa relation sincère à Dieu ou au divin, dans sa recherche singulière empruntant les outils de sa tradition particulière.
Ensemble pour voir le monde, juger des situations, et agir
Mais le comité n’est pas un groupe qui tourne en rond sur son nombril. Il s’affronte aux questions posées par notre société et les événements qui surviennent dans l’actualité : blocus de Gaza, port du voile intégral, les violences interreligieuses dans telle ou telle mosquée ou synagogue, etc.
Il est un lieu de partage de nos points de vue, souvent différents, parfois divergents sur ces questions.
Il est le lieu de construction patiente de jugements communs, lorsqu’il nous semble important de réagir à un événement, d’articuler une parole commune qui fasse entendre un son de paix tout en portant une exigence de justice.
Il est le lieu où nous agissons ensemble pour promouvoir cette rencontre interreligieuse courtoise et amicale partout où il est fait appel à nous, dans des établissements scolaires, des forums, des colloques.
« Humbles et soumis à tous », c’est ainsi que François voulait ses frères (et sœurs), non pas dans une attitude d’écrasement de soi qui serait indigne, ni dans un mépris de soi qui cacherait, au fond, un mépris de l’autre ; ni dans une soumission qui serait démission, renoncement à ses convictions profondes. Mais comme une volonté de supporter les tribulations de nos désaccords et de nos incompréhensions, d’admirer le singulier, l’inouï de nos expressions de foi, ici et maintenant, de se tenir librement sur le chemin de la relation à l’autre, aussi escarpé soit il, dans ce dénivelé qui fait que son visage me surplombe toujours et m’entraîne à aimer. Une attitude que François d’Assise a contemplé longuement chez son Maître et Ami.
Fr. Pascal AUDE