Jacques Duperthuy, cinquante ans de découvertes


« Aime et tu vivras. » Aimer Dieu et nos frères : Deux amours si fortement liés, il n’y a plus qu’un seul commandement. Voilà ce que nous dit l’Évangile.

Durant les premières années de ma vie religieuse j’ai collaboré avec l’aumônerie scolaire du public et du privé à la Roche et à Annecy. C’était excellent de découvrir les richesses de tous.

En 1965, on m’avait demandé de me rendre à la mission de Berbérati en Afrique centrale pour organiser les mouvements chrétiens dans le Diocèse. Les Équipes Enseignantes notamment, les groupes d’Animation rurale, avec les sœurs et les laïcs en mission, les Foyers pour faciliter le dialogue entre hommes et femmes dans les villages. La mission était que les chrétiens deviennent responsables de leur Église. Les catéchistes et les responsables de mouvements ont fait un excellent travail et ont tenté de vivre mieux l’Évangile dans leur vie quotidienne.
Myriam, une institutrice africaine à qui je demandais ce qui serait souhaitable pour une meilleure présence des missionnaires chez eux, m’a répondu : « tout ce que vous faites c’est bien, mais il serait important, de voir davantage notre point de vue et de nous écouter » ; nous avons tenté de travailler dans ce sens avec l’Evêque et bon nombre de missionnaires.

Pour des raisons de santé en novembre 75, j’ai dû rentrer en France. Après quelques mois j’ai trouvé un travail d’éducateur dans un centre d’hébergement à Chambéry. Cela m’a permis de découvrir et d’accompagner des exclus, des sans logement et des personnes qui ne trouvaient pas leur place dans la société… J’y suis resté durant 6 ans et j’ai découvert que beaucoup de résidents du Foyer, souhaitaient exister, trouver un travail et attendaient du personnel d’accompagnement une aide pour retrouver la confiance en eux-mêmes et le chemin pour se réinsérer. J’ai réalisé qu’il n’y a pas de recettes miracles mais que si nous manifestons à chaque personne une confiance authentique il est bien certain qu’un nouveau départ est souvent possible.

En 1981, le Provincial m’a proposé d’aller à Grenoble à la demande des responsables du Diocèse, pour ouvrir "Relais 14" avec une équipe de laïcs. Lieu d’accueil avec vitrine, pour tous ceux qui étaient en recherche de valeurs humaines ou d’une recherche spirituelle. Nous avons donc réalisé des expositions avec des personnes compétentes et spécialisées.
Entre autres, nous avons fait une exposition sur les prisons, avec des juges, des avocats , des ex-détenus puis quatre ou cinq réunions d’échanges pour réfléchir sur les problèmes de la prison et des prisonniers Ce fut une recherche vivante et passionnante, avec beaucoup de contacts et d’échanges.

C’est en 1985 que j’ai été sollicité, tout en gardant Relais 14, pour être aumônier diocésain du Secours Catholique de Grenoble où je suis resté 21 ans. Que de choses merveilleuses j’ai pu vivre et partager avec les accueillis, les bénévoles et les responsables du Secours Catholique. Là aussi j’ai découvert une fois de plus combien il était capital de croire au possible redémarrage de tous ceux qui se sentaient exclus et rejetés.
Je vous cite un simple exemple :
Marc, ancien cuisinier, buvait passablement et un jour où il pleuvait beaucoup il marchait dans la rue, mais fatigué il a frappé à la porte d’un vague compagnon du nom de Pierre qui avait une pièce avec un lit. Il invite Marc à rentrer et après quelques mots échangés, Marc s’allonge et s’endort dans le lit de Pierre qui lui, se couche par terre ; durant la nuit il se rend compte que Marc ne fait plus aucun bruit,… il est mort. Sans s’affoler Pierre attend que le jour se lève et prévient la police. Nous avons fait la sépulture de Marc...Pierre était présent en silence.
Qui était ce Pierre ? Était-il chrétien ?.. Peu importe, il a fait tout ce qu’il a pu pour accueillir et soulager Marc. C’est assez proche du Samaritain de l’Evangile.
Quelques jours après je me disais, est-ce que moi j’en aurais fait autant ?…

En 91 j’ai quitté "Relais 14" tout en gardant l’aumônerie du Secours Catholique car l’Évêque de Grenoble m’a demandé d’entrer à la Pastorale Santé du diocèse. Ce fut aussi passionnant. Un seul exemple : j’étais parfois sollicité pour donner l’un ou l’autre sacrement à des personnes hospitalisées.
On m’appelle pour donner le sacrement des malades à Jean, âgé de 90 ans. Je vais à la clinique pour la rencontre prévue. Jean est en dialyse, ce qui lui arrivait 3 fois par semaine ; je rencontre alors son épouse. Elle me dit que son mari est bien malade mais qu’il a cependant bon moral, 5 minutes après Jean arrive, je me présente, car on ne se connaissait pas. Quand à lui son corps est tout gris-noir, ce n’est pas très beau à voir. Tout de suite très calmement il me dit qu’on va lui couper une jambe. Le lendemain, il arrête toute discussion sur sa maladie et déclare très simplement ; « la fin approche, qu’est-ce qui va arriver ? peu importe ; pour moi j’ai eu une vie heureuse avec ma femme, mes enfants et petits enfants je rends grâces au Seigneur, voilà 90 ans que, j’ai été baptisé et on m’a tellement dit que Dieu était Amour que j’ai hâte de le rencontrer, sans trop traîner ». Je lui ai dit combien ses paroles et sa foi m’édifiaient, et ensemble avec sa femme et un de ses petits enfants présent, nous avons rendu grâces au Seigneur.

En 92 on m’a demandé d’accompagner l’équipe d’aumônerie de l’hôpital psychiatrique de saint Égrève, et j’y suis toujours. C’est passionnant bien que pas toujours évident ; plus on avance dans cette présence auprès des malades psychiatriques, plus il est indispensable d’écouter, d’accueillir la personne en souffrance.

Notre rôle ne consiste pas à interroger les malades, encore moins à trouver des solutions. Mais s’efforcer d’accueillir ce que chaque personne a envie de dire et souvent il faut du temps et toujours une relation de confiance.
Savoir reconnaître les personnes et prendre au sérieux ce qu’elles disent, ce qu’elles vivent sans cependant entrer dans leurs fantasmes.
D’autre part il est très important d’être témoins d’une religion qui est libération et non pas oppression. La religion n’est en aucun cas une fuite de la réalité et de notre condition humaine. Jamais, le religieux ne nous dispense de vivre notre humanité, il est la Lumière qui nous montre le véritable chemin à prendre.

Lors des célébrations les malades prennent facilement la parole. Au début de la célébration de Noël, Étienne nous dit : « Avant de me réjouir, je désire demander pardon à Rémy qui est ici présent car ce matin j’ai vu qu’il était fatigué alors j’en ai profité pour l’insulter et lui dire des choses méchantes. » Rémy à son tour dit simplement « Si on ne pardonne pas le jour de Noël.. On ne pardonnera jamais… ».
Tous ensemble nous avons rendu grâces pour un pardon demandé et un pardon accordé. Par la suite je me suis dit « Est-ce que toutes nos communautés sont capables de prendre ainsi au sérieux la phrase du Notre Père, pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».

Merci à ceux qui s’efforcent d’aimer à la fois Dieu et leur prochain.
Merci à tous les petits et les souffrants qui nous invitent à mieux vivre l’Évangile.

Jacques Duperthuy