Après la chute du dirigeant tunisien Ben Ali, on part à la recherche des causes d’un tel événement. Cela permet de faire des comparaisons, de jeter des lumières sur l’avenir : faisons des pronostics sur l’avenir. J’ai ainsi lu il y a quelques jours un article au titre bien trouvé : « les arabes jouent-ils aux dominos ? ». On déclare qu’on avait prévu l’événement, ou bien à l’inverse qu’on n’avait rien vu venir (cela, c’est un peu difficile pour les politiques). La révolution des jasmins était-elle prévisible ? Mieux vaut se rappeler, avec Hannah Arendt, que « l’événement éclaire son propre passé, il ne saurait en être déduit » [1]. Et donc il convient de prévoir qu’il y aura toujours de l’inattendu dans nos histoires humaines, des ruptures et des commencements, même là où tout semble déjà écrit à l’avance.
Ces événements de Tunisie – qui par leur soudaineté évoquent ceux de la fin de l’année 1989 – sont l’occasion de nous rappeler que les êtres humains sont capables d’initiatives, et peuvent briser des enchaînements d’actions qui nous paraissent inexorables. Les humains ne sont pas seulement des producteurs-consommateurs. « L’homme est un certain commencement », dit Saint Augustin.
N’est-ce pas aussi une invitation à regarder les événements de la vie, petits et grands, dans leur singularité ? Quelquefois nous sommes tellement pressés de les réintroduire dans des chaînes de causalité que nous oublions d’accueillir leur nouveauté, et les richesses qu’ils recèlent. Vin nouveau et vieilles outres ne vont pas ensemble.
Autre fait intéressant dans cette révolution : le dictateur avait des « oreilles » partout dans la société tunisienne. Le système était fondé sur la délation, (avec des indicateurs rémunérés et d’autres bénévoles) ! Tout cela s’est effondré comme un château de cartes. M. Ben Ali croyait, dit-on, que sitôt parti, on le rappellerait, surtout que ses sbires avaient été chargés par lui d’augmenter le désordre. Il croyait aussi, dit-on, qu’il y avait complot. On ne peut pas construire une société humaine sur la délation, sur la défiance. En réalité, une société qui se construit sur la confiance, la foi mutuelle est bien plus solide.
F. Dominique Lebon