Réunis au Cénacle, les portes verrouillées, les disciples sont là, comme en confinement, « par peur des Juifs ». Le Maître est mort. Ils l’ont abandonné, trahi, ignoré, laissé. Lassitude, tristesse, immobilisme, crainte … L’enfermement est alors le lieu de la désespérance. Qu’attendre encore ? « Le soir venu », dans la nuit de la foi et du doute, dans la nuit des sentiments et des relations, « Jésus vint et il était là au milieu d’eux ». Cette seule affirmation peut nous accompagner pour nos journées confinées et orienter notre attente, pas seulement de reprendre la vie d’avant en termes d’espace ou d’activités, mais une attente qui creuse, recueille, écoute plus profondément un désir discret puis de plus en plus disponible, jusqu’à entendre la voix du Maître : « la paix soit avec vous ! ». La voix du Maître remplit de joie, ouvre l’avenir obscurci et obstrué et remet en mouvement : « paix, joie, création nouvelle dans la puissance de l’Esprit Saint et la rémission des péchés, c’est comme l’archétype de la célébration eucharistique chrétienne, qui actualise en effet pour la foi l’apparition du Ressuscité le soir de Pâques » (D. Mollat, Études johanniques, p.164) La voix du Maître est relationnelle ; elle appelle une réconciliation nouvelle en chacun de nous, entre nous, et avec le créé. Ne l’oublions pas dans l’avenir.
La figure de Thomas n’est pas anodine. Si Jean l’Évangéliste la mentionne ici, c’est que la personnalité de Thomas a marqué les premières communautés chrétiennes jusqu’aux rives indiennes où aujourd’hui encore, à Chennai, on garde les traces de l’Apôtre. Déjà, au moment de la mort de Lazare et alors que les disciples mettaient en garde Jésus qui voulait se rendre près du mort, Thomas avait répliqué : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (Jn 11, 8-16). Cette parole révélait un homme prêt à aller au bout avec le Maître. Un peu plus tard, lorsque Jésus disait à ses disciples : « Je pars vous préparer une place (…) Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin », Thomas était alors intervenu, comme si le mot chemin l’avait touché : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas ; comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Et était alors venue l’admirable réponse de Jésus : « Moi, je suis le chemin et la vérité et la vie » (Jn 14, 4-6). Et maintenant, au Cénacle, Thomas nous livre, peut-être malgré lui, une précieuse découverte : Jésus est désormais à chercher et à reconnaître non pas tant par son visage que par ses plaies, et donc les plaies de notre humanité et de notre temps, et nos propres plaies. Thomas considère que, depuis le Golgotha, les signes caractéristiques de l’identité de Jésus sont surtout les plaies, dans lesquelles se révèle jusqu’à quel point Il nous a aimés. En cela, l’Apôtre ne se trompe pas. Huit jours après, Jésus réapparaissant parmi ses disciples, et cette fois, Thomas étant présent, Jésus l’interpelle et, ce faisant, confirme la découverte de l’Apôtre : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant » (Jn 20, 27). Thomas réagit alors avec la plus splendide profession de foi de tout le Nouveau Testament : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28).
Des exégètes relisent les récits d’apparition en deux catégories : les apparitions à caractère missionnaire et les apparitions à caractère catéchétique destinées à affermir la foi des premières générations de croyants : la foi n’émane pas du contact physique avec le Ressuscité, mais bien du témoignage et, désormais, l’Esprit Saint atteste et confirme le témoignage de l’Ecriture et vient révéler la présence du Ressuscité dans l’Eucharistie. La communauté décrite par les Actes (2, 42-47) est aussi témoignage d’une vie nouvelle en Jésus Ressuscité. Et, dès lors, le temps chrétien est celui d’une attente joyeuse dont parle la première lettre de Pierre (1, 3-9), « à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps ».
« Aujourd’hui le Seigneur nous montre à nous aussi ses plaies glorieuses et son cœur, fontaine intarissable de lumière et de vérité, d’amour et de pardon » disait le pape Jean-Paul II et il institua ce 2ème dimanche de Pâques, le dimanche de la Miséricorde. Le Christ Ressuscité dit à chacun de nous : « ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant ; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles » (Ap 1, 17-18). Le Seigneur veut tous nous guérir, chasser la peur et la tristesse, établir nos âmes dans la paix et la joie, même au cœur des difficultés de l’existence. « Comme les Apôtres autrefois, il est nécessaire que l’humanité d’aujourd’hui accueille elle aussi dans le cénacle de l’histoire le Christ ressuscité, qui montre les blessures de sa crucifixion et répète : Paix à vous ! Il faut que l’humanité se laisse atteindre et imprégner par l’Esprit que le Christ ressuscité lui donne. C’est l’Esprit qui guérit les blessures du cœur, abat les barrières qui nous éloignent de Dieu et qui nous divisent entre nous, restitue la joie de l’amour du Père et celle de l’unité fraternelle [1] »
frère Éric Bidot, ofm cap
2ème dimanche de Pâques – Miséricorde divine (Jean 20, 19-31)
Chapelle Notre-Dame de Paix, Paris