Se recevoir tous d’un même Père


Extrait d’un livre du frère Marie-Abdon Santaner "Le mystère du Père", Éditions de l’Atelier, 1999.

Nous avons été conçus, voulus et créés dans le Christ. Dans la pensée de Dieu, nous existions déjà, comme corps du Christ, avant même que ne commencent les milliers (milliards !..) de millénaires qui se sont déroulés depuis le commencement du monde. A supposer que tout ait commencé par un « big-bang », nous étions portés dans les entrailles de Dieu, en son Fils, bien avant que se déclenche ce possible « big-bang ». Des parents se font parfois une gloire d’avoir programmé (comme ils disent) la venue de leur enfant. Ils sont heureux de penser que ce petit être qui vagit encore n’est pas un fruit du hasard mais le fruit de leur désir. Dans le mystère de Dieu, le Père, le Fils et l’Esprit regardent tout être humain comme le fruit de leur désir. C’est en ce sens que l’apôtre Jacques écrit que nous avons été voulus par Dieu « comme prémices de ses créatures ».

Cette prise de conscience d’avoir été voulus depuis toujours et comme le sommet de tout le reste peut transformer notre vie intérieure. La joie d’exister en jaillit naturellement. Ce n’est pas rien, pour un être humain, de savoir qu’il a été désiré. La vision du monde, des êtres et des événements s’éclaire d’une toute autre lumière. Le regard devient contemplatif. Il va au-delà des apparences trop souvent obscures et même ténébreuses d’un réel dont le secret nous échappe ou dont la connaissance nous déroute. Rejoindre notre origine en la contemplant dans le Christ en qui on a été voulu avec tous les humains donne à la vie sa véritable signification. Nos yeux peuvent la voir sous un jour différent. Dans le Christ, chacun peut se voir et voir l’humanité tout entière d’un tout autre regard. Trop d’humains ne se voient et ne voient le monde qu’avec des yeux de taupe. Leur regard ne sait pas embrasser un horizon plus large que l’horizon de leur trou. Quel contenu peut avoir pour de tels humains l’adjectif pourtant si lourd de sens, par lequel commence le « Notre Père » ?

Dire en vérité cet adjectif « notre » suppose une certaine conscience qu’on a été appelé à l’existence avec tous et depuis toujours. Né de cette prise de conscience, le regard contemplatif dépasse tout cloisonnement qui mettrait les humains en catégories. Les différences de couleur, de culture, de classe, de race, d’âge sont le produit de notre appartenance à la terre : un lieu déterminé de la planète, un moment particulier de la société. Ces différences s’enracinent dans le temps. Les racines de notre appel à exister s’enracinent, elles, dans les profondeurs de l’éternité. Dans un monde où l’accélération des déplacements fait se multiplier les échanges, les différences entre humains sont probablement appelées à perdre de leur rigueur en vue de l’enrichissement de tous. La référence au Christ en qui tous ont été conçus et voulus par le Père, permet de regarder les difficultés de la rencontre entre humains avec un regard moins inquiet. Ces difficultés tiennent à notre origine de terre. L’instinct qui cherche la rencontre nous vient du Christ en qui le Père nous a tous enfantés. Cet instinct puise sa sève dans l’éternité. Il en détient aussi les promesses.

Porter sur la vie ce regard contemplatif, capable de dépasser les étroites limites de l’immédiat ne nous est pas toujours facile. Comme l’Israël des débuts de l’expérience biblique et comme le nouveau-né dans son berceau, tout individu et tout groupe, en ses débuts, se prend pour le centre du monde. Nous avons tous du mal à nous situer dans les processus où « le monde gémit en travail d’enfantement ».

La prière où Jésus nous fait demander que le Nom du Père soit sanctifié peut nous y aider. En nous faisant exprimer cette demande, Jésus ne cherche pas à nous mobiliser pour des manifestations publiques consacrées à exalter le NOM du Père. Le Nom du Père est sanctifié quand la vie de tous ses fils, à commencer par celle des plus petits, est tenue pour sacrée. Il en est ainsi en ces mille démarches obscures où l’homme vient au secours de la vie menacée, particulièrement chez l’enfant (y compris l’enfant à naître !), le petit, le pauvre, le démuni, l’étranger, l’affamé, le sans-travail, le sans-domicile, le sans-papiers. On empêche que le NOM du Père soit sanctifié quand on ne met pas tout en oeuvre pour qu’en chacun de ces petits la vie soit préservée, puisse croître et se multiplier. Chaque être humain sanctifie pour sa part et à sa mesure le NOM du Père en cherchant à faire que se réalise, au bénéfice de tous les humains, le dessein initial d’expansion de la vie. C’est dans ce dessein que le Père les a tous conçus et voulus de toute éternité.