Solidarité fraternelle


« En toute confiance, que chacun s’ouvre à son frère de ses besoins, pour qu’on lui obtienne et qu’on lui procure ce dont il a besoin. Que chacun, selon les moyens dont Dieu lui fera la grâce, aime et nourrisse son frère, comme une mère aime et nourrit son fils. Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas ; que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange. » (1 R 9, 10-12)

On trouve ces prescriptions dans la Règle des frères mineurs de 1221, précisément dans le chapitre sur la quête. Les frères sont appelés à vivre des relations de dépendance mutuelle. Tout d’abord, le frère qui est démuni, dans une situation de manque, ose exprimer son besoin. Voilà le premier mouvement : il consiste à accepter de ne pas « s’en sortir » par soi-même, et de faire appel à autrui. Ensuite, deuxième mouvement, le frère à qui est adressé la demande l’entend, et vient comme une mère au secours de son frère. Et la demande comme le don sont à vivre dans un climat de liberté, de foi mutuelle. Les personnes ont des besoins différents : ne porte pas de jugement sur ton frère qui mange, ou au contraire qui ne mange pas, fais-lui confiance (crois en lui, fais-lui crédit !). C’est important à souligner, car la violence – défiance et domination – peut se loger dans la relation et la pervertir.
Ainsi, à prendre le risque de demander, et celui de donner, on construit un monde moins dur, plus riche en relations humaines. Notons encore une fois que la demande vient avant le don, dans ce texte, ce qui dérange peut-être nos manières d’envisager la vie et la place que nous y occupons : consentir à partager ce que nous avons est plus facile que consentir à dépendre d’autrui.

Ces propositions ne vaudraient-elles que pour les franciscains, avec ou sans barbe ? Sûrement pas. Et n’intéresseraient-elles que nos relations interpersonnelles ? Sûrement pas non plus. Regardons comment fonctionnent nos sociétés aujourd’hui : on entend souvent dire que la pauvreté est une fatalité, le revers inévitable d’une belle médaille, que ceux qui la subissent en sont bien un peu responsables, que l’augmentation de la consommation de biens pourrait la réduire et qu’en attendant, les pauvres n’ont qu’à être les objets d’actions humanitaires. La machine économique actuelle n’a que faire des besoins des pauvres : à chacun de s’en sortir par lui-même. Et qui ose croire que les pauvres ont quelque chose à dire (intuition du mouvement ATD Quart-Monde !), que c’est à eux de dire eux-mêmes leurs besoins ? Qu’ils sont les membres à part entière d’une société dans laquelle leurs paroles comptent ? La pratique franciscaine est celle d’une économie solidaire, qui peut changer le monde.

Demander, donner, dans la liberté. A Noël, Dieu se donne à nous en Jésus enfant. Jésus est dépendant, a besoin de soins, de nourriture, de paroles, de reconnaissance. Ses parents l’aident. En Jésus, Dieu qui nous donne la vie, qui se donne à nous, n’est pas seulement don. Il se met aussi en état de demandeur, en situation de dépendance. Dieu, en Jésus, a besoin d’être accueilli, d’être aidé.
Dieu qui est relations, échanges, ne cesse de désirer que nous demeurions en Lui. Il demeure en nous lorsque nous échangeons comme lui dans la liberté de l’amour. Quand j’accepte de dépendre d’autrui – ce qui peut être parfois si difficile à envisager - je permets à autrui de prendre soin du Christ, en prenant soin de moi. Je permets à autrui d’agir comme le Père qui donne la vie au Fils (qui la lui remet) dans la liberté de l’Esprit, mais aussi, pour revenir une dernière à notre texte, je lui permets d’agir comme une mère, à la manière de Marie qui veille sur Dieu en Jésus.

F. Dominique Lebon